– Nikkfurie – Part 2

Tu t’souviens, Maggle, on terminait la partie 1 sur un scoop incroyable : que Rakim c’était la révolution du rap game… Voici pourquoi, d’après Nikkfurie 😉

Parce que Rakim c’est surtout le lyricisme. Il a amené le fait de commencer à s’dire : « put*in, comme on chante pas, va falloir qu’on soit ultra forts dans l’agencement des mots et la manière de les lier. » [il a pas dit ça comme ça hein, mais t’as compris l’idée]. En fait c’est un peu le père aux Nas etc. Nas avait aussi ce truc là et donc Rakim est un peu le premier lyriciste. Parce que même quand t’as l’énergie des Run DMC – qui restent notre claque musicale absolue et Rick Rubin pour moi c’est le summum du truc d’où l’espèce d’affiliation musicale dans le sens où on est ouverts à d’autres musiques dans notre hip-hop. Des mecs comme Beastie Boys, pour moi, c’est grave hip-hop. Bon, c’qu’on fait c’est largement moins rock, largement moins électro que ces deux groupes mais pour moi c’était la révolution. Par contre, lyricalement, Run DMC c’était lourd mais le vrai mec qui a changé la donne c’est Rakim. Puis ses descendants. Rakim et peut-être Big Daddy Kane pour une autre partie. Voilà, les deux ils ont vraiment changé la donne. Parce que KRS One ça restait sur l’ancien schéma de rimes un peu violents, même si ça tuait hein. Et vraiment certains trucs pouvaient paraître durs à écouter parce que monotones, voire monocordes. Mais c’était le vrai challenge et pour les initiés, un truc de dingue. Et surtout quand tu comprenais pas l’anglais, comme nous quand on était petits, il fallait avoir de l’acuité pour percevoir l’intérieur de cette rime, cette métaphore etc. Et ce travail-là c’est devenu la révolution parce qu’après ça a créé des stre-mon de partout. J’aime pas parler d’âge d’or parce que jusqu’à aujourd’hui t’as des mecs qui peuvent écrire super bien et compagnie mais ensuite tous les mecs qui ont bénéficié de cette passion pour l’écriture ont poussé le truc à un niveau de malade ! De Big Punisher à Organised Konfusion [toujours from NY], toute la Bay Area, tous ceux qui était un moment donné beaucoup plus bizarres entre guillemets, plus alternatifs, Quannum Spectrum, ces mecs là et d’autres, où t’as vraiment la manière d’agencer les rimes qui est juste incroyable !

Petit break dans la convo, Maggle, pour t’expliquer ce que c’est qu’un truc de ouf en terme d’agencement, de beat et tout le reste du génie :

Même si c’est vrai que c’est pas facile de tout capter. Beaucoup de subtilité dans les réfs… Quand un mec cite un truc faut déjà connaître le truc [qu’il cite quoi, t’as compris ? xD] donc c’est pas forcément donné à tout le monde et donc ça donnait même parfois un game d’intello. Mais la base de tout ça c’est vrai que c’est Rakim. Avec le recul, je pense que plein de gens captaient pas certaines choses, certaines références, les rimes alambiquées, etc, et c’était ça aussi la revanche : genre tu viens d’en bas et ton écriture est riche et racée… et c’est en ça que cette revanche c’est un peu « on vous nique ». Mais en France, nous, La Caution, alors c’est chiant de devoir le dire soi-même mais l’un des trucs qui nous fait le plus plaisir c’est qu’on est deux rebeus d’banlieue qui ont amené ce game de lyricisme en français au top. Même sans grandir dans des conditions entre guillemets de bourgeois ou dans des milieux d’écrivains ou quoi, on a fait honneur à la langue française. D’ailleurs, moi j’suis ouvert à toute compétition avec n’importe qui de la poésie académique ou n’importe quoi sur presque n’importe quel type d’exercice [alors ? qui est chaud pour la compét’ là, hein ?]. On a violenté cette langue en comprenant les assonances, les allitérations, les métaphores que tu peux en faire, en rendant sexy le verlan, les morceaux crades etc. Y a tout un jeu avec les mots que le rap a apporté qui est incroyable, qu’est incroyable ! Et quand je fais des ateliers avec les kids c’est souvent sur l’écriture riche alors que je connais rien en poésie en réalité, j’suis pas du tout pointu là-dedans. Mais c’est comme si t’apprenais de manière autodidacte et spontanée comment faire des rimes de ouf. Parce qu’en réalité le truc peut-être c’est qu’avec le rap t’as aucune limite. Tu peux utiliser c’que tu veux. Et ce truc-là spécifiquement, c’est vraiment tellement ouf [tellement, vraiment !] Et c’est vrai que ça peut aussi donner des trucs éclatés à des années lumières de ce qui devrait s’appeler rap, comme beaucoup de MCs d’aujourd’hui. Et malheureusement pour nous, et pour ceux dans les petits jeunes qui rappent encore hein, et qui aiment le rap pour de vrai, tu auras au minimum 15 mastodontes qui sortent régulièrement des skeuds ultra mainstream qui sont classés comme rap. Ce qui fait que ce milieu-là, vu qu’il vise à peu près la même la cible, ce milieu-là ne peut plus être « dragué » par un vrai morceau de rap. En tout cas, ce sera plus dur qu’avant, on va dire. Si, peut-être Nekfeu [henlala, tu sais pas Maggle comment j’attends son album là] arrive à faire kiffer les kids en rappant encore avec du lyric [et Alpha Wann aussi !] ouais ouais ouais, Alpha Wann, bien sûr. Bah cette clique là et certains autres, je les connais pas tous, donc si j’en oublie euh voilà respect à eux pour leur taf. Parce que dans ce game-là, le côté « on s’en bat les c*uilles, on est là on veut s’enjailler, on veut prendre des sous » a un peu flingué l’intérêt lyrical. Et là-dessus d’ailleurs y a pas de problème, on connait tous, tout le monde veut s’enjailler, tout le monde veut prendre des sous mais à partir du moment où tu pérennise pas culturellement ton game, ta culture, quelqu’un d’autre va le faire à ta place. Et je pense que de toute façon, le rap est en voie de récupération. Le rap dans sa forme, dans son sens intéressant, culturel du terme, est en voie de récupération – je vais le dire sans aucun racisme ou quoi c’est plus un truc de classe sociale – si tu veux par d’autres populations plus bourgeoises, plus « respectables intellectuellement » soi-disant et qui vont nous laisser nous les singes avec l’enjaillement de base premier degré dans un art qu’on a inventé et fait vivre. Nous on sait que des endroits d’où l’on vient, blancs, noirs, arabes, peu importe, on brille aussi sur le terrain intellectuel. Donc intellectuel pas dans le sens basic du terme, mais dans le sens noble du terme. Avec surtout l’énergie qui nous caractérise et ça donne forcement des trucs cool sans que ça soit quelqu’un qui l’utilise, en tire l’essence et arrive à faire son truc de son côté et à chaque coup nous on est là à s’faire c*uiller quelque part. C’est parce qu’aujourd’hui en matière de bolossde la consommation, tu peux pas faire plus bolosses que « nous ». Ça consomme n’importe quel morceau bastonné, n’importe quel type de sape, n’importe qui qui sort une marque de sape éclatée il suffit que tel joueur de foot ou rappeur le met et tu te retrouves avec plein de mecs à acheter ces trucs. Ils se retrouvent à acheter des t-shirt à 500 euros ! Motivés par une espèce de bolosserie consumériste qui donne l’illusion d’être en place… Avec le rap des années 90, en France en tout cas, 90 ou 2000, c’était quand même moins évident hein, tu la mettais pas à l’envers aussi facilement, même à vos génération hein. Et y avait cette force-là. Bon, aujourd’hui c’est un peu global, c’est pas que dans le rap parce que là, fin globalement… [on sent la désespérance dans la voix à ce moment précis #LoL]

Mais tu penses pas que ce soit la faute des rappeurs d’aujourd’hui avec leur message justement ? 

C’est la faute de ceux qui produisent ces messages et aussi la faute du public de pas avoir une espèce de fierté qui fait en sorte de demander à ce qu’on respecte leurs neurones musicaux [explosion de rire comme tu peux t’en douter]. Parce que nous, par exemple, tu nous la mettait pas à l’envers en envoyant une soupe de merde. Nous, on connaissait pas du tout le rap, on avait 11-12 ans, on tombe sur King Of Rock de Run DMC, nos oreilles ont été respectées ! [#LoL] Quand t’es un enfant, tu peux te faire barber parce que tu n’as rien à voir avec la musique, c’est-à-dire t’es pas un mélomane, y a pas de problème. Moi je m’adresse pas au non-mélomane, mais à celui qui écoute de la musique régulièrement, tout l’temps dans sa voiture, tout l’temps dans son casque, et le fait que ces gens n’évoluent pas en terme d’exigence, c’est assez mystérieux ! Mais parce qu’aujourd’hui, le game, on voit que ça : il t’inonde de soupes, mais quand même va chercher les vraies choses… Bon quand même, y a encore des gens qui ont du goût et de la curiosité, heureusement, mais ça m’étonne quand même qu’ils ne soient pas plus nombreux et notamment j’sais pas des gens de banlieues ou quoi etc. qui vont aller chercher des vrais son quoi. Juste tout simplement des vrais sons. Parce que y avait beaucoup de merdes à notre époque aussi, c’est pas une question de « le rap c’était mieux avant nous », y a 20 ans on aurait pu faire cette interview, même 10 ans, et on aurait été hyper critiques sur l’industrie ou tel ou tel rappeur qu’est pas bon et que le game monte en épingle. Beaucoup de merguez à l’époque aussi… Mais y avait encore beaucoup d’auditeurs de qualité. Et ça a jamais été uniquement de la faute des maisons de disque, les rappeurs se formataient eux-mêmes, et on le disait déjà à l’époque hein. Ouais, c’est pas le mec de la maison de disque qui disquette le rappeur. Le rappeur il vient direct et si tu dois baisser le pantalon, tu viens avec le pantalon baissé ! C’est pas t’arrives et y a un mec il te dit baisse ton pantalon. Non non, t’arrives directement avec [ou sans , plutôt] et du coup… moi j’ai aucun problème avec la musique commerciale, je suis un professionnel de la musique, ça existe et ça existera toujours. Seulement, quand tu récupères l’étiquette d’une vraie musique pour la mettre sur de la musique de soupe, il est là mon problème. Moi si ce qui sortait aujourd’hui s’appelait variété ça m’irait. Et notamment pour les jeunes qui aujourd’hui rappent encore pour de vrai. Parce que nous en réalité on a la chance d’avoir créé un circuit donc du coup quelque part on peut sortir un ke-tru, on va être sur notre circuit et puis si on récupère des kids qu’ont un peu plus d’acuité ça tue. Mais je connais des jeunes d’aujourd’hui, ils ont 22-23 ans et ils rappent parce qu’ils aiment le lyricisme. Parce que bcp de gens vont te dire qu’ils rappent à l’ancienne. Non, ils rappent tout court. Y a pas d’à l’ancienne. J’veux dire le rap c’est le rap. C’est pas une question d’à l’ancienne ou d’aujourd’hui. L’espèce de zouk, lambada, raï, c’que tu veux, qu’il y a aujourd’hui, ça me dérange absolument pas. Mais c’est pas du rap. Et des mecs comme Kore faisaient ça magnifiquement bien. Il a appellé ça Raï’n’B Fever, c’était vendu comme une espèce de pop et très bien, y a pas de problème avec ça. Pourtant, y avait des rappeurs dedans dans les morceaux. Mais se retrouver à ce que ce soit ça le rap, mais t’es mort dans le film si toi tu sors un vrai disque de rap ! Tu vas faire comment pour être promu ? Même, tu vas faire comment pour que ça arrive aux oreilles des gens ? C’est impossible ! T’as des mastodontes du mainstream – et tant mieux pour eux encore une fois, ça fait même plaisir qu’ils aient détrôné Sardou et des trucs comme ça. Mais du coup, si en plus de ça ils étaient sur leur game à eux uniquement ça permettrait d’avoir deux circuits d’attaque. Et bienvenue à ceux qui rappent quand même de revenir faire un album rap dans le rayon rap. Je dis rayon mais c’est… t’sais maintenant avec Spotify et compagnie y a plus vraiment de rayon. Mais après c’est ça hein, c’est au public aussi, le public il doit… bon, les journalistes aussi. Aujourd’hui t’as vraiment le truc de « ouais on se prend pas la tête, vous, vous croyez que c’est un truc de bibliothécaire de rap mais non, nous on veut juste s’enjailler » euh excuse-moi mais serrer des meufs, s’enjailler, boire etc. etc., mais tout le monde a fait ça de tout temps ! Même le jazzman qui connait sur le bout des doigts sa musique et qui a un respect monstrueux pour sa culture de jazz, mais bien sûr qu’il va s’enjailler aussi, il va serrer des meufs, il va serrer des mecs, j’en sais rien [#Lol], mais tout le monde le fait ça, c’est rien d’extraordinaire. C’est juste que nous, c’est notre culture et qu’à un moment donné, ne pas la sauvegarder ce serait une grande erreur. De la même manière que y a une certaine conscience dans les quartiers qui s’est faite caricaturer notamment par le rap parce qu’elle a été vulgarisée en des morceaux assez basiques avec des lieux commun dedans. Morceaux qui sont en réalité hyper faciles à écrire « j’ai faim, j’ai froid j’ai soif, j’ai mal » euh c’est très bien mais si y a pas d’forme, c’est pas possible que ca reste et c’est pour ça que ça a disparu complètement. Parce que, qui peut être disquetté par ça ? Tout le monde le sait, tout le monde le voit, tout le monde machin. Et ça nous a donné une réputation de victimes plaintives qui fait qu’on nous écoute même plus quand on exprime nos problèmes réels. C’est peut-être pour ça qu’aujourd’hui, ils sont à l’extrême inverse. Mais t’as des mecs qui ont des qualités dans leur manière d’écrire des trucs ultra ghetto ou « inconscients » – par exemple dans la trap – et pas de soucis avec ça. Même le mot flow aujourd’hui a un autre sens : c’est plus la vibe générale qu’une manière de lâcher les rimes. Et donc, même sans forcément être pointu dans les histoires de syllabes, dans les métaphores, les trucs un peu impertinents, t’as plein de mecs qui rappent en France, qui assurent là-dessus et c’est très bien et ça reste intéressant. Mais t’en as plein qui sont vraiment à la recherche de la soupe extrême. On a un peu tué notre mouvement nous-même hein faut dire la vérité. Sans en faire une religion évidemment hein, le Hip-Hop a eu un impact incroyable sur les gens. Et un mouvement culturel aussi intéressant, aussi fort et aussi ouvert, qu’il soit engagé, anti raciste etc. ou juste fun, c’est un truc culturel mondial historique ! Tu peux être n’importe qui et y contribuer. Même si je comprends le point de vue de certains afro-américains protectionnistes qui disent que non, cette musique est la leur etc… c’est compréhensible parce que quelque part ils se sont fait barber chacune de leur musique : le blues, le jazz, le rock… donc la ils sont comme des oufs ! Parce que… Dis-toi un truc, aujourd’hui on est à l’heure où, le disque de hip-hop, je dis bien de hip-hop, qui serait le plus attendu si la personne en question, j’vais t’la dire après, déclarait qu’il allait faire un disque de rap, ce serait l’album de Justin Bieber, ce serait l’album le plus attendu du hip-hop. Mondialement. Pas par toi, pas par moi, mais ce serait mondialement un ras de marée. C’est quand même un truc de fou d’en arriver la quoi. Force à nous haha

Mais du coup, en parlant de tout ça, c’est quoi ta définition du hip-hop ?

Ah bah ouais, Maggle, sinon c’est pas drôle ! Réponse dans la prochaine partie 😉

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