– Nikkfurie – Part 1

On rencontre Nikkfurie un soir d’été 2019 sur une terrasse Place de la République. J’ai à peine lancé mon sujet, qui à l’époque était très catégorique : le hip-hop d’aujourd’hui à perdu son essence première des années 80. Pour mon plus grand plaisir, j’ai même pas posé d’questions que… 

Là où t’as raison c’est que c’est l’esprit de base qui est la force de ce truc là [you know, l’essence avec quoi j’te baratine depuis toujours]… C’est pour ça que j’sais même pas si ça peut se régénérer ou pas. Faudrait des évènements sociaux, sociétaux on va dire, pour que cette musique reprenne quelque part un peu une place. Parce que comme, par exemple, tu vois les affaires de bavures policières qu’il peut y avoir en France, de la même manière aux États-Unis ou un peu partout – encore aux États-Unis c’est différent, les afro-américains ils ont une lignée de politique quelque part parce que, de l’esclavage aux black panthers, oui, ils s’y tiennent. Bon, là, ils leur ont créer une génération de cas soc’ sous drogue incroyable qui fait que c’est volontairement le truc dont on s’en bat les c**lles. Mais ici, à chaque coup on recommence. C’est à dire que y a des mouvements comme le Mouvement d’Immigration des Banlieues, le MIB, et d’autres avant qui à chaque coup se sont battues, par exemple, contre les bavures policières ou le racisme et compagnie et à chaque coup y en a eu un nouveau qui a pas perpétué la mémoire de celui d’avant mais qui l’a stoppé. Qui a recommencé. Et aujourd’hui les kids, sur les affaires de Adama ou de Théo, ont l’impression que quelque part c’est un peu nouveau, et on recommence sans arrêt. Alors que si y avait une vraie filiation historique des choses, le mouvement il serait bien plus intelligent ! En fait il aurait grandi et on se serait dit « attends attends, si on tire pas les ficelles de c’côté-là, on aura toujours la même chose. » Et en fait, nous, on fait que d’recommencer comme si on avait en gros une amnésie à chaque génération. Et l’rap, ici, aujourd’hui, il est en plein cours d’amnésie. C’est-à-dire que là, n’importe quel jeune – là je pense que c’est mondial hein – même aux États-Unis – là-bas ils ont encore des icônes, bien plus fortes qu’en France, et même celles-là ils les remettent en question, comme Kodak Black qui se dit le nouveau Tupac xD, mais eux à la limites ils les connaissent un peu. Ici non, ici y a pas de filiation. Donc ceux d’aujourd’hui seront dans cette position de ne pas avoir de filiation. Et comme c’est devenu une musique de hits, je fais un hit, je cartonne, je je je… le moment où tu fais plus de hit, tu n’existes plus, y a pas de réel. Parce que j’ai du mal à m’imaginer quelqu’un qui 20 ans plus tard ait la nostalgie – ‘fin à part une nostalgie marrante, tu sais des guilty pleasure, les hits que t’as aimés quand t’étais plus jeune mais c’est d’la soupe. Y a plein d’mecs qui sont écoutés aujourd’hui, ils auront disparu complètement du circuit et le mouvement avec quoi. Si y a rien d’solide, que ça soit dans les lyrics, ou dans l’expression, ou dans l’innovation qu’a amené le hip-hop, c’est sûr et certain que ça disparaitra. 

Par contre c’est sûr que le hip-hop à l’ancienne, même le très old school, ne disparaitra jamais. Pour un truc tout simple : c’est tellement pas accessible de base, je parle pas forcément de Hotel, Motel… Holiday Inn [de Sugar Hill Gang, Maggle] hein, là, c’est un morceau euh limite c’est d’la dance quoi. Fin on peut considéré ça comme de la dance. Mais y a une particularité tellement forte que ça restera dans l’histoire. Y a eu ça, que quand tu fais une espèce de lambada où tu rappes dessus, ou du zouk, ou du raï, ou j’sais pas quoi, mais tu rappes dessus, ça reste un hit. Un hit qui a marché, très bien pour l’artiste, très bien pour le label, ils ont fait leurs sous mais ça n’a pas de grande importance culturellement et comme on est un peu dans des types de population qui en réalité ont besoin de ça grave… [on subit notre image donnée par la société, Maggle, nous, banlieusards, on est fait pour la zumba xD]

Nous on le voit quand on a été classé avec La Caution comme rap alternatif, y a un truc qui fait un peu mal au cœur c’est que tu peux identifier les gens qui ont un peu de goût et d’acuité musicale ethniquement quoi. Et c’est super relou parce que du coup nous on était quasiment les inventeurs de c’truc là et on est les deux seuls rebeus, ‘fin quasiment : Tido Berman est guyanais de TTC – mais y a très peu… je sépare pas, moi j’en ai rien à foutre un peu blanc noir vert jaune rouge mais y a quand même un truc. Même tu vois, socialement, on est les seuls banlieusards à peu près et on est arrivés à faire quelque chose entre guillemets pointu et tu te dis ceux qui peuvent le comprendre sont ceux qui ont plus d’acuité, plus de culture. Et pourtant on vient nous d’une génération où en banlieue tu pouvais avoir un mec c’était un braqueur mais il était fan de manga, il était fan de cinéma, il connaissait le cinéma sur le bout des doigts, etc. Tu vois, y avait une sorte de curiosité, qui était en tout cas plus intéressante et qui faisait qu’on avait des billes à défendre et une qualité dans nos plumes. Les plumes populaires elles ont toujours été plus qualitatives en réalité que les plumes académiques dans le sens où y a le vécu plus, on va dire, quelques formes qui ne peuvent pas s‘inventer à l’école. Mais là aujourd’hui on est vraiment – c’est pareil pour la littérature, c’est pareil pour tout ce qui bouge – on est vraiment là, nous, dans la consommation principale et euh, si j’peux m’auto-flageller 2 secondes, pour les rebeus plus principalement, où là vraiment  c’est un enjeu hein, j’pense y a des gens dans les maisons de disque qui leur disent « ouais, mets un p’tit mot en arabe, met un p’tit shab ! » Parce qu’ils savent que les boloss musicaux principaux c’est beaucoup, malheureusement, beaucoup de rebeus pas très pointus niveau musique. Parce que l’avantage de ces mecs là c’est que même si il achète pas ton truc, il va défendre l’artiste dont il a aimé, dont il a été dragué musicalement par un morceau, qui est d’la soupe et qui est fait pour ! Il va l’défendre corps et âme chez lui, avec ses amis, dans son taff, dans son truc, et il va jurer que par bah quelqu’un qui en réalité fait ni plus ni plus que c’que fait La Danse Des Canards. Sauf que La Danse Des Canards c’est avoué, tu vois ? Ils mettent des canards sur la pochette [éclatage de rire assuré xD]. Là, t’as un mec qui fait comme si c’était du rap sur la pochette et en réalité, à l’intérieur, c’est autre chose. C’est quelque chose qui est fait pour tout cartonner. Mais c’est pas une vision aigrie ou quoi que ce soit, parce que ça a toujours existé. Sauf qu’aujourd’hui, la seule chose qui est moderne maintenant c’est que les gens arrivent à croire que tel mec qui fait bah d’la soupe, n’est pas là que pour la soupe : en gros c’est d’la vraie musique et en réalité non. Toi j’pense que t’es plus jeune que les gens que t’interview [euuuhh, oui oui, pas que j’les trouve vieux, mais quand même :D] mais y a encore une partie des jeunes qu’ont pas cette nostalgie. Mais je pense que ça a été transmis par, j’sais pas, un grand frère, un daron…

Et du coup, on parle d’IAM et NTM :

NTM – après moi, pour ma part j’suis pas un fan d’la fin d’NTM, j’te parle pas de la fin d’aujourd’hui, j’te parle vraiment, les deux premiers albums d’NTM j’pense que ça fait d’eux le plus grand groupe de rap français qui ait jamais existé [rien qu’ça !]. Parce que les deux premiers albums c’était vraiment, pour moi, c’était vraiment les classiques ultimes et le truc intestable de la première à la dernière piste. Mais après c’est vrai que pour le coup, j’étais jeune et je tombe sur Le Pouvoir sur Rapline [émission diffusée sur M6 à l’époque et présentée par Olivier Cachin], je m’dis ok ,c’est du niveau de ce qui se passait aux États-Unis tu vois. C’était pas des trucs caricaturaux genre « … » [là il nous fait un impro ridicule, j’tépargne les détails #LoL] C’était vraiment vraiment véner, y avait tout ce qui faut au niveau des sons, j’crois c’était DJ S [en effet, c’était bien lui ;)] qui faisait les sons à l’époque et compagnie. Et puis c’était la première fois que c’était, avec Squat [et Solo !], La Formule Secrète, Assassin, c’était la première fois que c’était du niveau de ce qu’y avait aux États-Unis. Et c’est nous bah dans les années 2000, c’est c’qu’on a essayé de faire avec le niveau le plus difficile entre guillemets, le niveau du rap alternatif, j’sais pas comment dire, underground ouais, new-yorkais notamment, voire de la Bay Area de San Francisco et compagnie où y avait vraiment les mecs les plus talentueux en termes de manières de gérer l’écriture, les mots, le flow, où on est à des années lumières. C’est pour ça que nous on a été incompris directement. C’est même pas une question d’avance, c’est d’la science-fiction pour les gens qui écrivent du rap parce que le mec qui écrit du rap au maximum il va faire sa petite phase à la fin tu vois, quelques syllabes qui se ressemblent, ou un jeu de mots à la fin du truc. Et nous le but c’était que le mec en face il se dise comment il a pu écrire ça,quoi. Et y a des trucs quand t’es pas trop dedans, et pour nous c’est ça le rap, pour beaucoup d’gens, y compris des puristes, le rap c’est l’morceau entier. C’est-à-dire que le morceau entier il m’enjaille. C’est pour ça qu’t’as des mecs, par exemple t’as des mecs qui peuvent aimer, qui peuvent trouver que j’sais pas moi, que Dr. Dre est un bon rappeur. Alors que techniquement ‘fin, techniquement et même au niveau des rimes y a rien d’extraordinaire. Après, le morceau est fantastique parce que l’ensemble du truc est bien géré. Mais nous très vite on a capté qu’est ce qui est dur à faire etc. 

Alors le lyricisme, le game du lyricisme j’dirais même, c’est encore, pour moi, pour nous en tout cas, c’est encore plus fort que le hip-hop. Pour une raison simple, c’est que sans se l’avouer, bah les gens l’avoueront jamais, mais au final on a mis à l’amende, le giron, tout ceux qui se réclament du vrai lyricisme, tout c’qui peut s’appeler poésie aujourd’hui. Le truc on l’a dépoussiéré, le mutlisyllabique, en poésie ça s’appelle les rimes holorimes, sans l’savoir et naturellement dans cette culture là les mecs ont emmené le truc à un truc ultra complexe, ultra intéressant à des niveaux que même en lisant des bons poètes, t’etais pas au même niveau. Après, c’est beaucoup américain, en France ça a été quasiment amené par nous hein tout ce qui était la culture du multisyllabique, de plein plein d’choses comme ça. Mais c’est pour nous le vrai game à l’intérieur du truc. Parce que ça, la musique elle peut changer, ça peut devenir de la trap, maintenant les bpm peuvent s’accélérer et se ralentir etc, l’expression musicale peut changer mais le rap en soi, là où le truc du hip-hop avec 4 disciplines, du graff, d’la danse, du machin etc, c’est un peu juste un fantasme. Énormément de graffiti artistes ne se réclament pas du tout du rap, ce sont plutôt des rockeux même. Et normalement les danseurs, bon on a pu voir qu’une partie d’entre eux sont strictement hip-hop mais une autre partie peut danser sur tout et n’importe quoi, ‘fin c’est vraiment un game à part entière. Y a un p’tit truc qui s’est créé à New-York un moment donné où t’as vraiment eu autour du même noyau urbain musical mouvemental, j’sais pas comment dire ça pour la danse, euh pictural. Y a quelque qui s’est créé mais c’est pas si évident qu’ça. Mais par contre le rap, l’écriture rap c’est une révolution incroyable. Et là où c’est un peu malheureux c’est qu’aujourd’hui, au service d’une industrie où faut cartonner, on ait enlevé ce qui faisait sa force c’est à dire le talent d’la plume. Et pas uniquement dans ce que ça dit c’est-à-dire que si le mec peut parler, un mec comme Redman il parlait que de weed, de b*tches, etc, etc, et la manière de le faire été intéressante. Ici en France on a beaucoup fantasmé sur le, c’qu’ils appelaient les rappeurs à textes, parce qu’en fait ils décrivaient la loose sociale et compagnie c’qui malheureusement a tué le truc parce que y a rien de plus facile ! C’était très très simple, puis énormément de gens ont surfé sans vraiment de talent sur le fait de parler de quelque chose de vrai et c’est très bien, c’est très bien d’en avoir mais le rap, sa force, c’était pas ça du tout. Et aux États-Unis, t’as encore un peu ça où les mecs savent différencier un mec d’un autre sur la qualité des rimes d’où le problème Eminem. Eminem, le mec pouvait insulter sa mère, c’qu’aucun mec issu d’un background urbain hip-hop ne ferait dans un morceau de rap. Et ben le mec il pouvait insulter sa mère dire qu’il avait tué sa mère etc et toujours être validé parce que lyricalement et lyricistement on va dire, il était opérationnel. Donc ouais, c’est un peu, ce truc là c’est le cœur, pour nous en tout cas, c’est le cœur de la culture hip-hop parce que la danse de toute façon t’sais les mecs, même dès le début, ils pouvaient danser sur d’autres musiques. Le graffiti ça collait à d’autres musiques. Le cœur vraiment du hip-hop, c’est le rap. Et ensuite, t’as même eu, tellement c’était devenu intéressant le rap, t’as même eu d’autres gens, le milieu du skate est devenu quelque part quasi hip-hop un moment donné, tu vois, avec les mixtapes de ZooYork et compagnie. C’est-à-dire que vraiment le ciment et le truc de base c’était ça. Maintenant que c’est plus ça du tout, euuh c’est vrai que…. Ah, quoi que les danseurs peuvent se relier à la trap aujourd’hui. On danse beaucoup sur ce genre de musique. Mais ça attention, c’est pas pour dire que le truc des 4 éléments c’était pas quelque chose de bien. C’était quelque chose de cool mais c’est pas si évident qu’ça en réalité les liens entre les trucs. Je pense que la danse se suffisait à elle-même. Le graffiti aussi. Et que dans leur histoire y avait vraiment des choses. A part le djing qui était vraiment très lié, aujourd’hui on l’voit, n’importe qui est DJ de n’importe quoi. Donc même le djing c’est limite le truc qui est ouvert à tout le monde quoi. Il suffit d’acheter un boitier et n’importe qui peut être DJ. Tous les journalistes sont DJ aujourd’hui [M-D-R, no comment]. Parce qu’ils se disent « attends, j’vais prendre un llet-bi ». Les journalistes, même ça c’est une évolution du hip-hop assez spéciale où les journaliste sont devenus des resta. Mais moi j’aimerais bien que ce soit les bons qui soient devenu des resta. Malheureusement… si, y en a quelques-uns en France qui savent de quoi ils parlent et qui sont entre guillemets un peu aux devant et heureusement ! T’en as bon, malheureusement tu parles 2 secondes avec… après des gens vont dire « ouais mais vous vous êtes des puristes, vous êtes pointus, vous êtes des psychopathes, lui il écrit comme ça lui il écrit… » Mais j’ai envie d’te dire si t’es d’une discipline, comment tu peux juste être superficiel sur la discipline, tu vois ? Pour moi t’es journaliste, j’sais pas, sportif par exemple, si c’est pour le football, si tu connais que Neymar, Mbappé et etc, bah t’es ni plus ni moins un mec comme tous les autres quoi ! Peut-être t’as un niveau de première de rédaction donc tu vas l’écrire mieux qu’un mec du bistro et encore… 

Le problème, c’est que y a plus de vraies critiques, tout le monde aime tout le monde maintenant.

Ou alors quand ils le font, c’est exactement comme un rappeur quand il leur lance un clash ou un truc, c’est en se disant j’vais avoir le buzz à c’moment-là et c’est très vicelard ce truc là parce que l’espèce de culture du buzz elle fait que tu peux aller jusqu’à faire tout et n’importe quoi. C’est vrai hein après bon, chacun voit midi à sa porte hein. Mais globalement l’émotion qui pouvait se dégager de ce qu’on appelle hip-hop, et là je parle vraiment presque que musicalement, bah là aujourd’hui elle a j’pense totalement disparu. Là quelqu’un peut s’enjailler sur un morceau de/apparenté rap. On peut s’enjailler, t’es dans une soirée, bon, le morceau il tourne bien, y a le mec un moment donné il rappe… tu peux t’enjailler d’ssus. Mais dire que t’as quelque chose qui se passe en toi genre un peu de la même manière que quand y a des choses qui ont été monumentales dans le hip-hop… [naaaah] J’vais pas dater jusqu’aux Last Poets [encore eux !?] parce que les Last Poets c’est quand même assez spécial et fallait vraiment comprendre l’anglais sociétal qui se dégageait du message mais du Juice Crew à… n’importe qui qu’entendait l’truc à c’moment là il se prenait une claque dans sa tête de ouf ! Moi, en parlant de Grand Master Flash, The Message, pour moi, c’était d’la funk. C’est du hip-hop mais c’était funky quoi. Mais j’te dis le Juice Crew [collectif fondé par Marley Marl dans les années 80, tout droit venu de Queensbridge] qu’arrive c’est d’une violence absolue ! KRS one, tout ça, et nous on était des enfants. Ensuite, Rakim c’est la révolution.

Boom, on t’explique pourquoi dans la prochaine partie 😉

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