– Kohndo – Part 2


Wesh, ça va ? Tu t’souviens la semaine dernière on remettait les choses à leur place avec Kohndo, notamment le rap game et le hip-hop, séparément. Ca se terminait sur : d’un côté y a ceux qui veulent vite arriver au succès (les tebès, à mon goût) et les autres, qui veulent juste kiffer. Sauf que les vrais, on dirait qu’c’est un filet mega fin dans la mer super géante du Hip-Hop (si t’as pas la rèf, t’as pas lu la première partie !)

Kohndo : Alors non, t’es en train d’me dire que y en a pas assez qui sont montrés [des vrais]. C’est pas pareil. Mais c’est toujours la même chose : est-ce-que c’est hip-hop parce que c’est Boom Bap ? En fait, est-ce qu’on peut être Trap et hip-hop ? [bien sur que oui ! OutKast forever] Dans ces cas là, si on est trap et hip-hop et bah quelque part y a bien des choses qui existent. Y en a quand même pas mal. Et pour moi en fait c’est ça : tu peux faire de la trap et être totalement hip-hop dans ta démarche, dans le style, c’est-à-dire connecter déjà ta musique à ta façon de t’habiller, à un entourage, aussi à d’autres trucs, à la danse… après c’est vrai que sur les 20 années qui viennent de s’écouler, entre le moment où j’ai commencé et maintenant, ce qui m’embête un tout petit peu plus c’est ce qu’on appelle le décloisonnement… non le cloisonnement ! T’sais tout était décloisonné avant : la danse rencontrait le rap qui rencontrait le DJ qui rencontrait le graff’. Aujourd’hui, tout ça ça existe mais ce sont des industries. Aujourd’hui y a une industrie du Street Art et du Graffiti. La danse ça appartient au monde de la culture, et c’est plus de la culture populaire, c’est de la culture [tout court]. C’est de la danse hip-hop mais c’est rentré dans le domaine de la culture subventionnée. Le rap, dans l’industrie de la musique, c’est le rap game et le DJ c’est le clubbing. Mais voilà. Je pense que même en disant ça peut-être j’me trompe. Pour ceux qui ont gardé le plus l’esprit de la culture, les plus rebels, pour moi, ce sont les graffiti artists et les danseurs.

D’ailleurs y a vraiment même deux écoles parce que t’as l’école des graffiti artistes et t’as les vandales. Et c’est vrai que pour moi le vandale, c’est un ouf. Pour le coup j’trouve que c’est eux qui ont l’âme du truc, tu vois. Et le graffiti artistes aussi. Le graffiti ça te demande tellement d’années pour le maîtriser. Je pense que y a des gestes qui demandent trop trop d’travail pour ne pas regarder ton passé. C’est-à-dire qu’aujourd’hui quand tu veux faire de la danse, pour avoir un bon niveau de danse il te faut entre 5 et 10 ans. Et donc le seul moyen d’être un meilleur danseur c’est de regarder tout ce qui s’est fait. T’es obligé de travailler en fait. Alors que dans le peura, y a un truc qui est plus instinctif. Si je prenais l’exemple de Moha Lasquale [et quel exemple !] : au bout d’un an d’écriture il faisait déjà un album. Tu peux pas faire ça dans les autres trucs. Si tu fais du piano, si tu fais de la guitare, si tu fais de la danse, si tu fais du graffiti, après un an tu peux rien faire, t’es pas apte. En fait, ta pratique elle est obligée d’être dense, d’être intense. Tu peux pas comme ça au bout d’un an… Et c’est ça qui les préserve parce que t’es obligé d’avoir des instructeurs, t’es obligé d’avoir des Sensei. T’es obligé de t’intéresser au moins aux 5 dernières années. T’as pas le choix. Internet fait que tu vas, YouTube même !, fait que tu vas plus vite. C’est-à-dire que effectivement, je pense qu’avant t’étais obligé d’aller dans une salle voir un instructeur qui te montre. Aujourd’hui que si tu restes chez toi et tu regardes ton tuto, bah tu peux apprendre beaucoup de choses sans avoir à parcourir l’histoire du truc. Donc peut-être que ce qui peut déconnecter les pratiques de l’état d’esprit hip-hop c’est plus ça : c’est juste le fait de vouloir aller très vite et tellement vouloir le succès que finalement on oublie de prendre le temps de s’imprégner et puis de se transmettre un peu les uns les autres. CQFD bis

La suite, c’est un cours d’histoire poussé, Maggle, j’te conseille de lire attentivement en vrai 😀

Mais ça c’est un vrai problème de génération. Mais faut s’y habituer parce qu’en fait historiquement c’est comme ça pour tout. Par exemple, début des années 1900, les artistes, les chanteurs, c’était des chanteurs sans amplifications dans des salles de spectacles. Ensuite y a eu l’invention du carbon phone et l’invention du 78 tours. Donc en fait les gens qui avaient l’habitude de chanter dans des salles ils chantaient trop fort pour être pris par un micro. Donc on a demandé des chanteurs moins puissants et quand ces chanteurs moins puissants sont arrivés bah comme la norme c’était d’avoir des chanteurs puissants bah on disait ils sont nuls parce qu’ils chantent pas fort, ils ont pas de puissance. Parce qu’en fait les codes avaient changé mais personne s’en rendait compte. Puis quand les gamins de cette époque là ont eu un tourne-disque et ils ont pu mettre le morceau de gens qu’ils aiment dessus, ça a changé le game et donc tout ceux qui étaient super puissants avant étaient trop puissants pour la nouvelle machine. Donc il fallait changer le code. Donc ils ont disparu. Après le 78 tours il y a eu le 45 tours. Donc la ça a changé le format, ça veut dire que t’a eu des singles, des chanteurs à singles. On revient là-dedans aujourd’hui. Dans ces chanteurs à single y avait besoin d’hyper efficacité parce qu’il fallait passer en radio. Donc pareil, le message politique : dead. Après la guerre 14-18, que des chansons politiques, des chansons sur la guerre, etc.  1945, pareil, des chansons de résistance et tout. Après guerre : besoin d’oublier tout ce qu’il vient de se passer donc on a besoin d’avoir des chansons plus cool, moins tragiques et tout. Avec l’apparition du 45 tours dans les années 60 : changement de délire. Changement de délire ! Et en fait ce qui a re-ramené du sens ça a été le 33 tours. Là, c’était les albums concepts, les gens qui commencent à penser non plus des morceaux mais plein de morceaux enchaînés. Ca a tellement changé l’état d’esprit que pareil, on est revenu à quelque chose d’un peu plus conscientisé, etc. Quand, avec les 45 tours t’as l’apparition des turntablism et tout, bah en fait c’est un nouveau style musical. Et là ceux qui ont passé des années à apprendre à jouer d’un instrument, ils voient un mec débarquer en prenant deux disques identiques et juste les faire tourner. Un mec qui chante pas, en plus qui parle dessus, ils se disent : c’est de tocards. C’est quoi, nous il nous faut 20 ans pour apprendre à chanter, il nous faut 20 ans pour apprendre à faire même une rythmique !

En fait ce problème là il se pose à toutes les générations : dès que la technologie change, la musique change. Parce que la musique elle est marketée, elle est vendue grâce à une technologie. Ce qui fait qu’aujourd’hui le modèle a changé c’est que l’industrie du disque avait pas trouvé le modèle économique qui allait avec le mp3. On va dire ça comme ça. Et donc à un moment, tu vois, ils ont commencé à dire on va considérer qu’à partir d’un certain nombre de vues, un certain nombre d’écoutes, ça fait une vente. Le truc c’est bullshit. C’est mytho. Mais grâce à ça ils ont pu faire du blé et ils ont dit ça y est c’est ça le modèle économique. 

Faut comprendre que moi par exemple avant pour fabriquer un album, fin, on va dire que pour fabriquer une chanson, il me faut : le temps de production, le temps d’enregistrement, le temps de sortie. Il me fallait – allez, même si je suis super riche, super fort – 3 jours. Ok ? Mon studio ça me coûtait 1 000 balles. Studio, mixage, les bandes et tout, on va dire 1 000/1 500 euros. Fallait que je mette derrière un mastering et tout. Aujourd’hui avec l’ère digitale, je fais ça en une journée et ça me coûte 0 euro. Fin ça me coûte l’investissement dans mon matos, donc réellement ça doit me coûter 30 balles. On est plus sur une même économie. Conclusion : avant ce qui faisait la diff’ c’était le son et ton son, ta qualité artiste etc. Aujourd’hui, vu le flux en fait, il faut que tu aies la bonne idée et derrière il faut que t’aies le bon marketing. Et le visuel est un marketing. C’est à dire qu’à la base faut comprendre que le clip ça a été considéré comme un support promotionnel de la musique. Sauf que maintenant c’est devenu une œuvre. Et donc c’est plus le même délire. 

C’est pour ça qu’on voit que ça maintenant et que c’est tout ce qui intéresse la nouvelle génération…

Mais c’est normal, c’est l’œuvre de notre époque ! C’est-à-dire qu’avec le téléphone c’est bien le clip qui a été démocratisé. C’est comme si on était passé, comme j’t’ai dit, du gramophone au 45 tours. Et du 45 tours au CD. Parce que le CD aussi ça a changé le délire. C’est le CD qui a permis la numérisation du son, qui a permis le mp3. C’est le fait d’avoir digitalisé tout ça et ce digital permet que c’est virtuel. Voilà. Moi, pour équiper mon studio, bah avant j’avais besoin d’avoir des machines et tout. Aujourd’hui mon studio c’est mon ordinateur et une petite boîte à côté. Et j’ai toutes les bandes qu’il y a dans ma tête. Donc la technologie ça a ses avantages, ses inconvénients. Faut bien comprendre qu’aujourd’hui tout ce que je pense, je peux le matérialiser sans en avoir carrément l’instrument devant mes yeux. C’est comme si t’avais directement accès à ma tête en fait. C’était ça la magie du hip-hop au départ : le sampling permettait d’avoir accès à un groupe qui joue ta vibe. Alors que si jamais il fallait que tu aies accès à ma vibe avec toutes les connaissances que je devais accumuler, il t’ aurait fallu 15 ans. Au moins 10 ans de taff. Donc nous on avait déjà créé c’te révolution là. Y a un moment, j’suis le premier à le dire : faut pas avoir peur que cette révolution là, toi, tu la vives. Les autres ils l’ont vécu à ta place, maintenant c’est toi qui la prend dans la face quoi, c’est tout. [ouch]

Moi aussi j’ai créé un moment de ma vie et aujourd’hui je me la prends dans la gueule. Je me prends la même révolution. Et la vraie question c’est plutôt : qui va continuer à faire du lien ? [bah nouuuuus, Maggle, NOUS !] Qui va considérer que par exemple moi, Kohndo, j’ai une oeuvre qui est étudiable, qui est assez dense, assez riche musicalement, pour être analysée et pour se dire qu’en fait y a des gens qui ont des choses à gagner en étudiant mon oeuvre ? [Nous, j’ai dit !] 

C’est le problème de ceux qui font du rap aujourd’hui : ils le savent pas mais ils sont influencés par ce qui a été fait auparavant.

C’est le principe du classique. Par exemple même moi dans le rap, il m’a fallu des années d’études de la musique pour comprendre que mon rap il est connecté au blues, au rythm and blues, qu’il est connecté au jazz, etc. Il m’a fallu trop d’années en fait. Il m’a fallu de la recherche. C’est pas venu à moi, c’est moi qui est venu à lui [c’est comme le quartier quoi, hein Booba ? xD] Et quand on me disait quel est le premier rap sorti ? Bah je disais Sugarhill Gang [cf notre premier cours de Hip-Hop ensemble, Maggle ;)] parce que je suis né là-dedans. Mais en fait c’est faux. Déjà je regarde la même année que Sugarhill Gang, 6 mois avant, t’as un morceau qui s’appelle Personality Joke de Kim the third [Kim Tim III, exactement]. Et c’est Fatback Band. Fatback Band à la base c’est un groupe de funk qui repère que y a un truc qui est en train de se passer dans le ghetto et font venir un rappeur sur le morceau. Tu vois ? Et bah déjà ça c’est 73 mais c’est avant Sugarhill Gang. D’ailleurs c’est pas 73, c’est 76 ou 79, j’sais plus, je suis un peu fatigué [c’est 79 voyons !] Et en fait moi je me dis bon bah c’est là le premier rap. C’est le premier rap esthétiquement rap. Mais après il a fallu que je rencontre un spécialiste des musiques actuelles, notamment dans le funk et tout pour me rendre compte, alors déjà pour avoir cette info là et après, pour me rendre compte que avant ça t’as un gars, là c’est 63, c’est 10 ans avant [16 ans du coup] qui rappe déjà en fait. Et j’te parle pas du spoken word de Gil Scott Heron ou des The Last Poets [on en a déjà parlé avec Rocé, si tu t’souviens bien ;)] Y a un moment tu crois toujours que le monde est né avec toi. Tous on croit ça. Moi le premier. Et le seul truc qui te rappelle que t’es connecté c’est juste si toi tu fais des recherches, si toi t’es curieux et quand tu vas voir des gens, des hommes et des femmes de science, tu vois, des gens qui ont la connaissance avec qui tu peux échanger.

Le vrai truc c’est là, aujourd’hui le rap c’est la nouvelle variété française. Donc y a un moment ça va devenir culturel. Moi je fais partie des gens qui l’implantent dans la culture. C’était pas une volonté c’est juste que j’ai eu de la chance d’être assez passionné et assez intelligent pour savoir l’expliquer. Donc aujourd’hui je me retrouve dans des endroits depuis 15 ans où je vais enseigner dans des conservatoires. J’enseigne dans deux conservatoires, dans une école de musique, j’ai fait des conférences pendant 6/8 ans… Voilà, tout ça fait que y a un moment, si demain on étudie le rap, et ben c’est là où peut-être moi je vais retrouver ma place dans comment cette musique là elle s’inscrit dans une histoire et là, ceux qui vont la faire ils vont avoir, s’ils le désirent en tout cas, les éléments pour connaître cette histoire et la comprendre. 

Sacré prof d’histoire ce Kohndo hein ? Last but not least, ça arrive next week. Après tout, qui est Kohndo ?

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