– Solo – Part 3

Facile. Évidemment que j’voulais l’avis d’une légende du hip-hop français sur le fameux groupe mystérieux PNL qui, dans 20 ans, sera une légende pour la jeune génération actuelle. Alors, il en pense quoi ? Lis la suite wesh !

PNL – 

Alors PNL, le premier truc que je dis c’est : il va falloir maintenant que nous fassions très attention. Parce que la manière qu’ils ont de faire leur truc et comment ils ont l’air d’englober ce qui les entoure, je trouve qu’il y a quelque chose de très hip-hop dans la manière dont il le font. Après c’est un aspect très très très très [oui, j’ai compté le nombre de “très” dits] commercial. Mais les mecs qu’est ce qu’ils ont fait ? Ils n’ont fait ni plus ni moins que recycler des choses qui sont déjà là. C’est déjà très hip-hop ça, de base. En tout cas, c’est comme ça que les gens ont fait au début. Les premiers sons hip-hop, si tu écoutes Rapper’s Delight, c’est du recyclage de Chic [plus précisément du son Good Times de Chic 😉]. Si on prend point par point. Ensuite, comment est-ce que je suppute – parce que je ne suis pas sûr – qu’ils font les trucs avec leur entourage au sens large : ils font travailler les mecs de leur cité. C’est quand même des mecs qui étaient vachement dans la vente de teshi [oups!], ce genre de trucs là, et comment ils ont recyclé leur argent pour en faire un truc et d’intégrer les mecs qui leurs sont le plus proches. Pour moi c’est quand même partir d’un aspect somme toute assez négatif pour en faire quelque chose de positif pour eux-mêmes et leur entourage. Demain, c’est des mecs qui vont rentrer dans des trucs vraiment très légaux et qui n’auront plus besoin de ces trucs. Je trouve ça très hip-hop aussi, moi. Alors que j’étais le premier, faut quand même le dire, à regarder le truc et à faire “non, mais qu’est ce que c’est que cette merde ?!” Tu peux ne pas aimer, mais si ces mecs là disent “nous on est des artistes hip-hop”, je vais être le premier à [approuver]. On est quand même la culture où tout le monde est le chantre du truc et tout le monde sait mieux que le voisin. Moi le premier. T’as toujours des puristes qui vont arriver et qui vont dire “ouais mais eux c’est pas hip-hop. – Ok, d’accord, c’est quoi la définition alors ?” Donc y a des moments faudrait qu’on apprenne, je vais pas dire à fermer nos grandes gueules [ah mais tu l’as dit ! #LOL], mais à faire preuve d’un peu plus de clairvoyance, de souplesse, j’irais même jusqu’à dire de diligence. Tu vois ? C’est à dire aller vers et en même temps être capable d’avoir une lecture des choses. Ce que nous avons eu beaucoup de mal à faire jusqu’à présent. Donc voilà. Cet exemple là y a quelques années, moi, quand on me parlait de PNL, je faisais “non mais c’est pas possible.” Mais tu vois bien que quand tu vas vraiment chercher dans les faits, et que tu regardes bien, je suis obligé de dire “respect les mecs !” Je suis allé à leur pop-up store, j’ai regardé le truc j’ai fait waaaaah. Quels sont les groupes de hip-hop français qui ont ouvert ce genre de brèche ? Y en a pas beaucoup. Nous au début, chacun à notre manière, et à notre époque, nous avons ouvert une brèche. Mais au jour d’aujourd’hui, qui ouvre vraiment des brèches et qui sont vraiment quelque chose de l’ordre de l’exemple ? Je parle de l’exemple [on peut demander à Rohff hein]. Les mecs ils sont quand même organisés, quoi. Est-ce que ça c’est pas hip-hop ? Je vois pas beaucoup de mecs de cité qui ont employé tous les mecs de leur entourage. Et si on rentre vraiment dans les détails, nous, notre génération, tous ceux qu’on a été, qui a eu une descendance ? Si tu regardes, personne. La descendance d’IAM ? La descendance de NTM ? Rien. La descendance d’Assassin qui aurait peut être dû être x ou x. A partir du moment où moi je suis parti, t’as eu Kabal et La Caution [both, des groupes de rap français légendaires] et bah on voit qu’à un moment, le truc périclite.

Est-ce que c’est dû à la culture hip-hop en général ?

Non non, faux ! Parce qu’aux États-Unis ça se fait très bien. C’est quelque chose qui se fait plus culturel et de la manière du culte de la personnalité déguisée. Se cacher derrière des préceptes qui peuvent te permettre de te mettre toi en lumière – “c’est moi comment je brille, comment je suis bon, c’est moi le meilleur.” Ici [en France hein], mais c’est pas que dans notre culture, la transmission, le partage : c’est en ça que le hip-hop était intéressant. C’est que ça cassait ces codes là. Et que nous on les a fracassés ces codes juste en nous rassemblant. Ici tu ne te rassembles pas. Dès que tu te rassembles, les gens sont là à vouloir casser ton truc “ah non non pas trop de rassemblements.” Moi, mon avis, c’est qu’à trop brider les gens, tu leur donnes plutôt envie de s’exprimer en dehors du cadre [ah ça, j’crois qu’on en a vu la preuve hein] A trop les brider, tu obtiens l’effet contraire. Si tu donnes la place aux gens de pouvoir s’exprimer, ils vont le faire de manière spontanée et ils auront pas besoin de faire un espèce de truc virulent. A trop les brider s’en est devenu virulent et le hip-hop, comment nous l’avons développé à une certaine époque, c’était de ça dont il était question. C’était de dépasser l’espèce de bridage institutionnel, étatique, sociétal. C’était briser. Nous on arrivait, c’était genre “vous voulez nous brider, genre on existe pas? Bah vous allez voir. Déjà c’est pas on existe, c’est on existe et de toutes les manières, y a que nous. Vous c’est vous qui n’existez plus.” Et de là tu vois on est devenus ingérables. Moi je dirais 87-92 c’est n’importe quoi. Regarde, de 87 à 92 tout ce qu’il s’est passé dans le hip-hop français quoi. Instoppables. Instoppables. Ingérables. Les mecs sont partout, des tags, le rap, la danse. Partout partout partout partout partout [oui, là aussi j’ai compté.] Et quand je dis partout, ça grouille mais tu les vois pas à la télé, t’en n’entends pas parler à la radio, et pourtant il n’y a que ça. Donc les journaux, tout d’un coup, se sentent obligés de parler de ce truc. C’est quoi, les zoulous ? 

Et cette époque est révolue ? 

Non je ne dirais pas ça puisque quand ils parlent de cailleras, y a quelque chose qui pour moi est du même ordre. Ils font style ils ne veulent pas l’entendre mais… Et tu vois, un groupe comme PNL ça participe aussi de ça. Ils sont moins virulents à la parole comme ça mais dans la manière qu’ils ont à faire les choses, je sens la même virulence. Moi je trouve que c’est affolant. J’ai pas réussi à avoir une lecture. Je ne me suis pas arrêté encore sur une définition ou une lecture du truc. Mais quand j’ai vu leur clip là avec le hall d’immeuble où tu vois clairement qu’ils sont en train de dealer et la sortie qui est dans le désert et les gens qui font la queue jusqu’à Bab El Oued en fait [il parle du clip A L’Ammoniaque], j’étais là p*tain ils se rendent quand même compte que c’est faire l’apologie du deal ? En même temps le truc de survie c’est ça pour eux. Donc encore une fois est-ce qu’il n’y a pas un truc hip-hop là-dedans ? De dire bon bah c’est tout ce à quoi vous nous autorisez ? C’est tout ? Ou on est vos sous-fifres, ou on est vos larbins, ou on est ça, quoi. Bah vous savez quoi, nous on va pas être vos sous-fifres, on va être ça. Pour moi ça c’est quand même beaucoup hip-hop. Ça me fait penser à The Message : “Don’t push me cause I’m close to the edge”  [fais pas l’ignorant(e), Maggle, j’t’en ai parlé tout au début du blog !] Tu vois ? Donc pour eux tu vois que la question a le mérite de pouvoir être posée et d’être débattue. Dans le fond eux ils s’en battent les c***lles hein, ils font leur truc. Si tu me parles de B2O, lui je crois qu’il s’en bat les c***lles [encore plus que PNL quoi]. Après dans sa manière de verbaliser je trouve qu’il a upgradé un truc du langage. Donc rien que déjà ça, ok. Y a beaucoup du discours qui ne me concerne pas et qui, limite, pourrait me révolter mais y a eu un upgrade du langage que je regarde et je me fais, qu’est-ce que ça dit ça. Qu’est ce que ça dit de la société, qu’est-ce que ça dit de lui ? Après c’est difficile : à quel moment on est dans l’analyse et à quel moment on rentre le jugement ? Le jugement personnel. Quels sont les critères sur lesquels on se base pour se faire une idée ? [oulaaa, tu m’fais réfléchir là] Ah c’est patate hein [autrement dit, on en fait un sujet de thèse, Maggle, ou bien ?]. Moi, depuis quelques temps, j’essaie de faire attention à ne pas trop me perdre dans des trucs qui peuvent dire tout et son contraire. Je ne sais plus trop quoi penser à des moments, de cette évolution. 

Est-ce que peut-être l’essence, les piliers du hip-hop, n’ont pas été assez bien transmis ?

Ah bah moi j’estime que y a deux générations. Normalement une génération c’est 25 ans, donc on peut pas vraiment parler de générations. Mais dans le hip-hop on peut dire que tous les 4 ans ou tous les 5 ans y a une génération. C’est une génération de ceux qui avaient 10 ans et qui tout d’un coup ont 15 ans. Ou ceux qui avaient 15 et qui maintenant on 20. Bon, entre la mienne, celle d’après, celle des années 90, nous on a pas su vraiment mettre les trucs en place pour que celle des années 90 puisse vraiment s’approprier et véhiculer les choses correctement. Je pense qu’on a un peu une part de responsabilité. Quand je regarde moi de première génération et que je regarde la génération qui vient tout de suite après, quand on monte Assassin, NTM, IAM, Solaar, déjà là y a un truc parce que ça devient chacun pour sa peau et qu’il faut tirer son épingle du jeu. Et tout de suite après t’as la génération Ministere Amer qui arrive et là c’est encore un autre truc. Et tu te rends compte que eux ils arrivent en mode nous c’est politique de la terre brûlée” en mode “on a pas réussi à faire notre truc au moment où tout le monde a explosé, on a été ostracisés, maintenant qu’on revient sur le devant de la scène, on vient et on nique tout.” Parce que eux c’est la génération Skyrock. C’est eux les premiers qui ont fait “ah bah ouais vu que vous avez fait votre commerce, vous avez fait votre truc, vous nous avez pas calculés, bah nous on va vraiment en faire du vrai commerce.” Et là tout d’un coup tu [les anciens quoi] fais “non mais ça non non, mais attends mais ça non !” Et eux c’est la génération où ils sont en mode “Comment ça non ? Comment ça non ? Pourquoi non ? Ah ouais genre toi tu manges et moi j’mange pas ?” Qu’est ce que tu réponds à ça ? Tu vois ce que je veux dire ? Et donc entre les débuts de comment tout ça a commencé à arriver dans l’industrie et ainsi de suite et puis cette génération là, tu vois bien déjà que y a un truc qui s’est perdu et pareil avec ceux qui arrivent encore après, la génération années 2000, la fin de Lunatic, le début de Booba, et tous les autres. Mais eux c’est même plus sans pitié. Tu discutes même plus avec eux. Aux États-Unis t’as vu t’as exactement les mêmes choses à part qu’à chaque fois ça revient toujours à un truc communautaire. Run DMC, LL Cool J, Beastie Boys, Onyx. Tu peux tracer des lignées. Après la lignée Marley Marl c’est Juice Crew, Big Daddy Kane, Roxanne Shanté, Kool G Rap. Après ça se développe, Andre Harrell. Parce que Rakim ça reste pas loin de Marley Marl. Andre Harrell, Mary J. Blige. Bad Boys, Biggie. Tu vois, tu peux tracer des lignées. Ice T, King T, Big Syke : tous ces trucs là, West Coast. N.W.A., Snoop, Eminem, 50 Cent. Andre Harrell, P. Diddy, encore deux branches. Wu Tang, Mobb Deep. Tu vois tu peux tracer. Ici, qui ? Personne. Donc on a une part de responsabilité à un moment. Enfin moi c’est qu’est ce que je dirais ! Si on me demandait, je voudrais pas dire mais moi c’est qu’est ce que je dirais ! [“rire” comme dirait un journaliste quelconque] Tu vois toujours qu’à un moment y a des truc qui périclitent sur des faux malentendus. Aux États-Unis peut-être qu’il y a un moment où on est pas d’accord, mais on va faire ça en bonne intelligence. D’accord t’es plus mon pote mais on va pas renier ce qu’on a fait. Tu fais ton truc je fais mon truc. Big Daddy Kane, Jay-Z… tu vois ? 

Donc on est coupables de ce manque de partage et transmission.

Ce qui manque et qui a été une lacune ou une partie manquante du hip-hop français c’est l’aspect communautaire qu’il y a aux États-Unis. Aux États-Unis ça reste une culture afro-américaine et donc y a toute une histoire qui va derrière et cette histoire c’est une histoire des afro. Ici on était pas… [les banlieues se le sont bien approprié quand même], mais ce qu’il manque c’est le ciment. Le ciment je dirais de lutte des classes qui dit pas son nom. Aux États-Unis t’as même pas besoin de dire lutte des classes, on te dit c’est une culture afro-américaine, et quand tu dit afro-américain, ça englobe l’esclavage, les droits civiques, tout un truc qui politiquement parlant et socialement, englobe tellement de choses que t’as même pas besoin de préciser : ça vient avec le package. C’est indissociable. Ici y a pas ça. Quand bien même il y a un truc de lutte des classes, ici t’es dans une case donc si tu fais partie de la sous couche sociale, tu es la sous couche sociale. On veut pas savoir comment t’es, si t’es noir, si t’es blanc. Non non. T’es la sous couche. Aux États-Unis quand tu parles de sous couche y en a pas 25 millions. Y a que maintenant, dans les années 2000, où on parle vraiment très fortement des white trash. Les prolétaires blancs aux États-Unis, avant on en parlait pas. On te parlait des renois ou des hispano. Y a que maintenant qu’au travers de quelqu’un comme Eminem où tout d’un coup tu te rends compte que y a des white trash. T’as des blancs qui vivent dans des caravanes et qui ont embrassé la culture renoi et qui tout d’un coup sont aussi renois voir plus renois que les renois et que le keumé quand il arrive et qu’il pera, tu peux pas dire qu’il rappe pas bien parce que le mec il défonce [regarde 8 miles si tu l’as pas déjà fait]. Donc ce truc de transmission et de comment on se l’est approprié ici et ainsi de suite, mon sentiment hein, je prétends pas que j’ai raison, mon sentiment c’est que ça participe beaucoup de tout ça, et qu’ici ça ne nous a pas été transmis. Donc nous on ne le transmet pas aux autres. On en parle, on le revendique mais on ne le transmet pas. Qui transmet, est dans la transmission de cette conscience ici ? Y a pas. Y a eu Assassin à un certain moment mais dans la manière dont ça a été fait, j’ai le sentiment moi qu’il y a quelque chose qui a été détourné de quelque chose d’originel et que le discours s’est dilué ou perdu dans quelque chose peut-être trop obtus. Mais ça n’est que mon avis. Mais comment est-ce qu’on passe de “l’argent pourrit les gens [le discours de l’époque comme tu peux le deviner], à deux mecs qui vont se savater dans un aérogare ? Octogone, bah vas y au moins qu’on rigole. Tant qu’à faire moi je veux rire.

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Sacrée question pour clôturer notre discussion. Bon, on avait pris nos places pour l’événement mais encore une fois, ça été annulé… Lool j’rigole hein mais je trouve ça fou de finir une discussion hip-hop, avec une légende, sur un sujet tout aussi ridicule que ça. Enfin, que le bilan sur le hip-hop aujourd’hui se résume à ça. Dur. Et puis tout cette remise en question sur “est-ce que c’est pas de notre faute ?”. C’est fou non ? Quand j’te dis qu’on a beaucoup à apprendre des anciens et que le blog est là pour ça. Fais moi confiance. En tout cas, c’est là que s’est terminée notre discussion. J’en ai appris beaucoup et surtout ça m’a permis moi aussi de me remettre en question sur comment je jugeais la nouvelle génération – oui, je suis un peu une puriste j’avoue. On fait le bilan la semaine pro, Maggle. En attendant si t’as des questions pour Solo, hésite pas, j’irai rediscuter avec lui car on a pas fini d’apprendre !

Peace!

P.S. : je sais qu’t’a pleuré quand t’as vu tous les noms des rappeurs kainris qu’il a cité. T’en fais pas, on fera un cours sur ça 😉

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