– Solo – Part 2

Tu t’souviens la semaine dernière il nous donnait sa définition très scientifique du hip-hop. Mais c’était pas assez, j’voulais vraiment connaître sa relation à la culture et surtout gratter tout ce qu’il a à nous partager. La suite rien que pour toi, Maggle.

Qu’est ce qui t’a interpelé dans le hip-hop? Pourquoi tu t’es senti concerné par ce mouvement ? 

C’était un nouveau langage qui s’offrait à moi, qui se proposait, et donc y avait quelque chose que tu peux t’approprier, justement parce que c’est nouveau et que c’est pas défini, arrêté. Tout est possible et on est dans ce truc d’ingurgiter quelque chose, de le digérer, pour moi, le recracher à ma manière et qui permet donc à d’autres de pouvoir s’en nourrir aussi. Mais surtout c’était un langage nouveau. C’était pas du rock, c’était pas d’la funk. C’était nouveau. C’était au-delà des étiquettes que moi je connaissais. Et comme c’était nouveau, bah il restait tout à faire. Et tout à faire ça voulait dire s’approprier les codes, en créer de nouveaux, et c’est ça qui était bien. C’était pas juste adopter les codes qui me sont proposés là et puis m’en arrêter là. Je pouvais en faire quelque chose, me l’approprier et je crois que c’est ça qui m’a intéressé, vraiment. Alors au début c’était pas aussi profond que ça mais je crois que c’est ce qui caractérisait ma démarche : c’est une page blanche et il faut l’écrire. Comment est-ce que tu peux l’écrire ? Ah bah tu peux danser, tu peux graffer, ah bah tu peux juste parler. Ah bah tu peux juste être là. Comment ça ? Ça veut dire si je suis juste là, j’écris quand même l’histoire ? Ouais. C’était inespéré ! Avant t’étais obligé de t’inscrire dans quelque chose et avant l’arrivée du hip-hop on te demandait “ouais mais toi t’es quoi ? ah t’es new-wave ? ah t’es hard-rock ? ah mais t’es funk ?[c’est les gens ignorants qu’il imite évidemment] Tu vois ? Et là tout d’un coup on ne pouvait plus te définir. Les gens ils te regardaient, ils disaient : “ah t’es un smurfeur ?” Parce que c’était le seul truc qui pour eux caractérisait le mouvement. Alors que tu pouvais être dans le hip-hop, ne pas danser, mais tu vois que pour les gens c’était inexplicable. De toute façon c’est très français ça, il faut que tu rentres dans une case. Donc tout d’un coup y avait un truc où “ah, mais dans quelle case on va te mettre ?” Et ce qui était assez jouissif c’était de dire “mais non, mais vous pouvez pas me mettre dans une case parce que la case dans laquelle vous essayez de me faire rentrer, c’est pas celle qui me caractérise. Et moi je vais créer des nouvelles cases.” Comment ça “des” ? Non, tu dois être ou rock, ou funk, ou new-wave ou baba-cool. Mais tu dois être quelque chose. Ah mais non, moi je suis hip-hop. Ah mais hip-hop, c’est quoi ? Bah voilà, peace, love, unity and having fun. Ah baba-cool ? Bah non. Si tu me fais chier, je suis pas Jésus hein, ça va partir en sucette [et là j’ai explosé de rire.]

D’ailleurs c’est beaucoup parti en sucette à l’époque, non ?

Rhoo, mais un nombre de fois, laisse tomber. Y a des trucs mémorables et y a des trucs… J’ai vécu les trucs. Et quand je dis que j’ai vécu les trucs ça veut dire j’étais au centre du truc, je ne faisais pas une pause pour ressortir, regarder et faire “ah ouais putain t’as fait ça ? oh t’as vu le truc?” J’étais dedans. De toute façon c’est simple je peux te raconter l’histoire de tous, quasi. Je peux te dire lui il est arrivé là à tel moment. Et puis lui, et lui. Mais effectivement oui, ce que les gens ne supputent pas, c’est que à chaque fois il fallait défendre ton truc, quoi. Moi j’me rappelle de battles au terrain vague par exemple avec Joël de Timide Et Sans Complexe [fais marcher ta mémoire de rap français, Maggle], mais c’est partie mais en live ! C’était limite… [la guerre ?] C’était bagarre ! Et des trucs comme ça y en a eu beaucoup. Ça reste un truc de rue hein. Et quand bien même on est dans un truc de peace love and unity, faut pas pousser quoi. Faut pas pousser mémé dans les orties [#LoL]. Y a des trucs tu peux pas.

Aujourd’hui, comment tu vois le hip-hop, et surtout le rap, évoluer ?

Alors c’est deux choses bien différentes. Le hip-hop, pour moi, il est encore en constante évolution. Et attention, ceux qui en ont prédit la mort, y a des moments même moi, tu vois, j’étais là à regarder à me dire “je vois plus trop là vraiment ce qui est hip-hop.” Y a toujours une résurgence, y a toujours un truc et t’es là à te dire “p*tain je croyais que là on avait atteint la fin” et bah non en fait. Et puis il y a un truc générationnel où les gens se l’approprient. Y a beaucoup de gens avec qui j’échange et qui sont là depuis un certain laps de temps mais que j’aurais jamais soupçonnés qu’ils étaient atteints à ce point là. Tu vois des gens comme Rocé [rappelle toi, on lui a parlé à lui aussi ;)], ça c’est des gens par exemple qui ont vécu le truc à la fin des années 80. Mais pour moi c’était des enfants, et je pensais pas vraiment qu’ils allaient le vivre. Et je me rends compte aujourd’hui que c’est eux le hip-hop et que la continuité, le passage de témoin c’est comme ça que c’est fait. Aujourd’hui quand je vois le projet qu’il a fait Rocé dernièrement, Les Damnés De La Terre, je me suis dis bon bah ok d’accord. Moi j’étais persuadé que je faisais partie des derniers mohicans qui avaient compris le truc. Mais en fait pas du tout. Ça c’est une vision assez égocentrique qui faisait que je pensais être un des chantres du truc et que j’étais un des rares. Mais non, mais pas du tout. Y en a d’autres qui se le sont approprié et qui en font quelque chose d’encore plus… [fort] et ça c’est une agréable surprise de ces 10-15 dernières années. Donc moi je pense qu’on est pas au bout du truc et que, je sais pas d’où ni comment, mais que ça va se renouveler encore. Je pense. Parce que c’est quelque chose dont on avait prédit la fin, la mort. J’ai appris ces 10-15 dernières années à développer autre chose que ce soit de ma personnalité, de ma vie, et donc là je rentre dans une période où je me rends compte que c’est l’espoir qui prime. L’espoir tout court, pas que pour le hip-hop, l’espoir dans sa généralité : la foi, la foi en l’être humain, la foi en cette culture, la foi dans la manière qu’on a de se développer, la foi en moi-même, la foi en les autres, tu vois comment je te parle de Rocé, même de Cut [Killer, la surprise arrive], même de Fab [DJ, à qui on a parlé aussi ! Décidément ;)]. Et je vois les rapports que j’ai avec tous ces gens que je côtoie quand même depuis quasiment plus de 30 ans. Je vois comment les choses ont évolué, ont changé. Je me remémore les rapports que j’avais avec Fab, au tout début, Fab pour moi c’était un concurrent, c’était le truc de compétition. Et je vois bien qu’aujourd’hui on est vraiment derrière la même bannière. On l’était déjà à l’époque mais dans la manière qu’on avait de vivre, c’était quand même chacun pour son camps alors que dans le fond on faisait corps et on avançait dans le même sens, tu vois. Donc d’arriver à dépasser avec l’âge, la maturité, tout ces trucs de guéguerres intestines qui font que tu te rends compte que quand même tu vas dans le même sens, c’est aussi une manière de développer les préceptes de cette culture. Je sais pas moi, les baba-cool je suis pas certain qu’ils estiment qu’ils aient encore un truc qui les caractérisent tous par rapport à comment ils ont grandi, comment ils ont fait leur truc. Moi je vois que les mecs avec qui j’ai fait les trucs entre mes 17 ans et aujourd’hui mes 52 ans [holy wow ! je l’ai pas cru sur le moment], je suis encore en train de parler des mêmes trucs et à me dire “ah ouais mais en fait on avait peut-être pas compris ça au bon moment et de la bonne manière” et ainsi de suite et on continue à essayer de faire évoluer ça. Et on voit bien qu’avec ce qu’on a à proposer, bah la jeunesse va surement pouvoir se le réapproprier d’une autre manière que celle que nous on entend ou qu’on voit mais que ça continue d’évoluer. Et quand même, et c’est ça qui en fait quelque chose d’incroyable, ça reste la musique du futur. Ça reste la culture du futur aussi puisque tu vois c’est encore ouvert. Nous on est arrivés dans les années 80, c’était déjà un truc du futur avec l’électro-funk. C’était vraiment la musique des extraterrestres quand même, de faire les robots et tout ça. Et tu vois qu’aujourd’hui on en est encore à développer ce truc là. Culturellement parlant. Et y a aucune culture qui a ce fond là.

Aujourd’hui on a réussi à en faire une culture mainstream et, qu’on le veuille ou non, nous ce qu’on a fait ici en France et qui est carrément le truc exceptionnel, c’est qu’on en a fait le marché majeur. Et y a aucun autre pays au monde, à part aux États-Unis, où ce tour de force a été réussi. Y a pas un pays qui en a fait la culture majeure. Après, qu’on l’entende ou qu’on ne veuille pas l’entendre, c’est autre chose. Comment est-ce qu’on le définit, comment est ce qu’on le définit pas, c’est encore autre chose. Tu vois ce que je veux dire ? Mais nous, c’est comment on s’est battus, et ça tu vois c’est qu’aux États-Unis où c’est au même niveau.

Et tu ne penses pas que le mainstream a fait que les valeurs de l’époque se sont perdues ? 

La différence entre avant et maintenant je dirais, c’est l’aspect commerce et transmission. Ce que je te disais et ce que j’ai lu et que maintenant je m’évertue à répéter c’est que ce qui rend un artiste hip-hop, c’est la manière qu’il a de rendre ou d’échanger avec la communauté. Et beaucoup de ces artistes n’ont plus ce rapport et ce lien à la communauté. Ça devient un truc personnel. Commercial mais personnel. Ça peut très bien être commercial mais à partir du moment où y a ce lien à la communauté, pour moi c’est hip-hop. C’est ça qui fait cette touche, qui donne cette labellisation hip-hop. Tu peux pas t’auto-estampiller hip-hop. C’est le lien et l’échange, le va-et-vient qu’il y a entre la communauté et toi qui te rend hip-hop. Tu peux te proclamer hip-hop, dire “ouais non mais moi de toute façon je suis un artiste hip-hop” mais si tu n’as plus ce lien, bah au bout d’un moment, non. Après tout dépend de qui tu parles, cite en moi quelques uns et je te dirai.

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A ton avis, je lui ai demandé son opinion sur qui ? Hehe, réponse la s’maine pro, Maggle !

Keace & Peace

 

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