– DJ Cut Killer – Part 3

La suite, la suite ! Mais pas la fin ! En fait j’me rends compte qu’on a tellement discuté qu’à un moment j’ai perdu le fil de mes questions. J’voulais juste écouter ce qu’il avait à dire. Sans l’interrompre. Et forcément y a encore d’la mise à l’amende xD

Tu trouves pas que maintenant ça devient de plus en plus individualiste ? 

Normal… Au départ en fait nous, on fait ça pour nous. Moi j’ai une autre particularité c’est que quand je suis DJ, mon « taff » c’est de diffuser les musiques. Donc quand je diffuse la musique, je diffuse pour un plus grand nombre pour faire en sorte qu’ils comprennent ce que ça raconte,  pour faire en sorte que des jeunes s’identifient à cette musique. Notamment quand je commence les mixtapes, mon but c’est de diffuser le plus possible. Et quand ça commence à vendre je me rends compte qu’effectivement, de Paris ça part à Nantes, de Nantes ça part à Bordeaux… Ca part partout ! Et comme j’ai pas d’émission de radio encore je me dis la meilleure chose c’est de faire des après-midis et donc on décide d’en faire avec IZB [crew, collectif, groupe, famille… je sais pas trop comment les définir mais en gros ils ont plus d’une pierre à l’édifice du hip-hop français] IZB c’est notre crew à l’époque. Moi je suis dans le centre de Paris, eux ils sont à Saint-Ouen, dans le 93 [su su, Maggle]. On les rencontre comme ça dans la rue en fait [à l’époque suffisait que t’aies une paire de jordan, des gros lacets, un baggy ou un autre truc associé au hip-hop pour qu’on te reconnaisse et sache qu’on marche ensemble 😉] et Jean-Marie [JM] me dit « tu veux faire partie du crew ? » – Bah ouais vazy ! Nous, dans le 10ème [arrondissement de Paris, hein] y a personne ! Et c’est comme ça qu’on se met en mode avec IZB. Alors IZB, officiellement, on est 100 [#LoL] Parce que dans la rue c’est « Tu veux venir avec nous ? Tu veux venir avec nous ? » Mais finalement ça se resserre parce qu’on se dit on va dans les soirées des autres mais on a qu’à créer nos propres après-midis. Puis on a un déclic très rapidement c’est qu’on se dit, la première ça a bien fonctionné, les gens sont venus, c’était à Eglise de Pantin [9.3, toujours !] donc on va garder l’oseille, on redistribue pas et on va faire une caisse noire : on avait une envie commune qui était d’aller à Londres pour voir le championnat de DJ, DMC. C’est à côté et en plus de ça on savait que y avait des gros groupes américains hip-hop qui venaient. Le Globo [à Paris] ramène des artistes, mais c’est la guerre. Ce truc là il contient 800 personnes mais le jour de la première venue de Public Enemy y avait 3000 personnes dehors c’était n’importe quoi ! Les keufs ils comprenaient pas ! [Événement mythique de 1988, pas encore écrit dans les livre et moi, toujours pas née hélas ] Et à ce moment là [un an avant en fait, en 1987] y a un promoteur qui fait le premier concert de rap américain à Paris : Run DMC et Beastie Boys au Grand Rex… Et ? Mais ça s’est terminé en mode : le bus des artistes complètement défoncé, la salle à moitié arrachée ! Enfin bref, depuis ce jour là ils ont arrêté le hip-hop direct. Donc on s’est dit nous, on va essayer de recréer ça à petite échelle. Et au bout de trois après-midi et trois soirées on a assez d’oseille pour louer un bus et aller à Londres. C’est comme ça qu’on voit qu’effectivement y a un mouvement de ouf en Angleterre. On voit les artistes et tout et quand on revient on est déter’ ! [ça a l’air tellement ouf la vibe, sérieux, ça te donne pas envie toi aussi de retourner en arrière ?] On va faire que des soirées et en plus de ça, si possible, où ça part pas en c***ll*s. Donc moi, le hip-hop c’était mon truc [sans blague !], mais j’étais aussi dans l’ambiance de la nouvelle génération de rhythm and blues : la new jack. Donc je faisais des soirées new jack aussi. Et c’est de là où on a une idée superbe : on a loué une salle et on disait à tout le monde « c’est une soirée habillée donc costard, robe de soirée. » Comme ça on est sûrs que personne va se battre vu qu’ils allaient sortir leur costard [mouahahaha – donc la prochaine fois si tu vois une soirée « jogging » tu sais qu’c’est foutu, Maggle !] Et effectivement on a eu carrément moins d’embrouilles et on a commencé à faire ça [plus souvent] et de là on a réussi à avoir une caisse assez importante pour aller à New-York.

Là, je vais pour poser ma troisième et dernière question. Celle qui parle de l’évolution t’sais. Mais Cut c’est pas seulement un artiste avec qui je discute, c’est un mentor. Pourquoi ? Bah parce que concrètement il me partage son avis critique et (surtout) me stoppe dans mon délire dès qu’il en a l’occasion #LoL. Ou alors il aime tellement parler hip-hop qu’il voulait prolonger la discussion ? Haha ! En tout cas, avant d’enchaîner on revient sur le pourquoi il met un pied dans le hip-hop.

En fait, pour répondre à ta deuxième question, quand on fait en sorte que ce mouvement soit fédérateur pour la jeune génération et qu’à terme on inculque à des gens ce que ça raconte, on se dit pas qu’on est prof’. On fait juste de la diffusion. On est internet. Quand on va en soirée, les gens, les ¾ des morceaux, ils les connaissent pas. Donc ils dansaient sur tout ce qu’on leur proposait. Il y avait des morceaux qu’ils connaissaient, mais pas tous. Donc on donnait juste une direction sur ce que ça allait devenir quoi [le hip-hop hein, t’as compris]. On organise des soirées, des après-midis, uniquement pour dire aux gens que vu que vous écoutez pas ça et qu’en boîte vous rentrez pas, c’est mort [même en costard xD], bah on peut se regrouper et vous arrêtez de vous battre. C’est cool. Et on leur dit même « arrêtez de faire les cons parce qu’on met un service de sécurité de batard, on prend les plus gros, les grands frères. » #MDR Si jamais ça bouge c’est que vraiment y a d’autres grands donc ce sera la force par la force [mais pourquoi on est obligés d’être sauvages comme ça entre nous, sérieux ? Je ris fort !] Aujourd’hui quand tu vois la jeune génération, et pour répondre à ta première question, quand on fait ça on ne se rend pas compte réellement qu’on va changer le game, on va imposer un game. Le game il est qu’on essaie d’exister. Pourquoi le rap français commence à exploser ? Parce que y a un message social qui permet aux jeunes d’avoir des psy, notamment des rappeurs qui vont donner leurs directions en termes de société, de problèmes… Peut-être pas les solutions mais en tout cas essayer de donner des impulsions de réflexions pour leur dire « faites pas trop les cons parce que nous on doit exister en vrai. » Et la société de l’époque c’était ça puisque la France, et notamment d’autres pays, avait besoin d’une main d’œuvre moins chère pour que, économiquement parlant, elle se retrouve sur le marché international et évolue. Mais nous on ne le sait pas ! C’était juste pour nos parents un moyen de sortir de pays en voie de développement, en parlant de l’Afrique Du Nord et de l’Afrique en général. Au départ les premiers ce sont les portugais. La France appelle les portugais parce qu’ils sont plus proches. Et puis quand les portugais sont saturés, bah ils se sont dit « bah où est-ce qu’on peut trouver une main d’œuvre [encore] moins chère ? Allez, on descend [en Afrique] et on ramène des gens ! Qu’est-ce qu’on fait d’eux ? Parce qu’un moment donné va falloir les mettre dans un coin. Donc il faut qu’on construise des HLM. » Parce que Paris c’est bien mais tu peux pas mettre tout le monde ! Du coup, c’est pas qu’ils les « parquent », c’est qu’ils créent des logements sociaux moins chers, parce que forcément ils les paient moins chers, pour qu’ils puissent les avoir sous la main. Ce à quoi les politiques sont d’accord mais ils ont oublié juste une petite virgule : c’est pas les mêmes religions, c’est pas les mêmes codes, c’est pas les mêmes cultures. Donc ça crée à ce moment là des problématiques. Les portugais sont chrétiens mais en Afrique Du Nord ils sont musulmans hein. Mais ça dérange pas là-haut. En même temps comme les parents, grand-parents sont en mode : les enfants on les laisse dehors comme au bled, bah ici aussi on les laisse dehors. Ce qui est tout à fait logique et normal parce que là bas ça se fait souvent : chez nous c’est ghetto mais ghetto avec ghetto ça reste ghetto. Ici [en France] on va ghetto [quoi ? tu connais pas ce verbe ? xD] avec des gens qui ont plus d’oseille donc quelque part on se dit « aaaah ça serait bien qu’on essaye de s’intégrer ! » Et on [la société] dit aux parents « essayez de vous mettre dans les codes de la France et, à défaut de votre religion, il faudrait quand même que vous respectiez la démocratie et ce que ça raconte. »

Je t’ai perdu, Maggle ? Allez, un peu de sociologie fait pas de mal. On reprend.

Alors forcément quand on dit que les jeunes doivent rentrer dans l’éducation nationale et qu’il faut qu’ils aient des modes de fonctionnement typiquement occidentaux, ils veulent bien mais sauf qu’à un moment donné, malgré le niveau d’études, y a pas de boulot. Donc ils vont se débrouiller autrement. L’économie parallèle c’est quoi ? Le plus rapide, c’est la drogue. Donc y a des dealers qui émergent. Mais le problème c’est que dans les quartiers 15% sont représentatifs de ça et pas les familles qui représentent les autres 75%. Normal, c’est les petits cons qui font en sorte que la France voit ça comme ça [ou les médias qui en jouent aussi hein.] Il aurait fallu effectivement avoir des médiateurs avant, qui comprennent les deux cultures pour avoir des maisons de jeunes, etc. Mais là pour l’instant on en est pas là. Avec notre musique, on essaie de trouver un vecteur pour leur dire « bon, c’est la galère mais en même temps on a des portes-paroles ! » Donc normal qu’à l’époque on se dise qu’il y a un business à faire, normal qu’on se dise qu’il faut produire produire produire pour derrière être un peu plus reconnus et avoir un peu plus de poids et que tout le monde sache qui est qui. Sauf la société française qui voit le rap comme comme n’importe quel mouvement qui va périr d’ici 2-3 ans. Mais nous qui avons la chance d’aller aux Etats-Unis, on voit que ça fait 10 ans – c’est pour ça qu’on a toujours dit qu’ils ont 10 ans d’avance – ça fait 10 ans qu’ils travaillent là dessus, ça fait 10 ans que c’est là donc nous on sait que ça va durer. Mais pour la société française ça ne dure pas. Quand on passe nous, notre generation, 80, fin 80, à 90, là on commence à avoir des medias, on commence à avoir des gens qui nous écoutent. De plus en plus de gens qui comprennent notre désinvolture et surtout notre agression. Quand Radio Nova fait découvrir des artistes, automatiquement Massadian les passe à un autre relais qui est la télé avec Canal +. Canal +, ils ont été à fond sur certains groupes, notamment NTM, parce qu’ils savent que c’est des jeunes, même s’ils sont virulents, qui ont une éducation et surtout ils sont porte-paroles de la jeunesse en France. Et de là on crée quelque chose…

Maggle, t’as lu le livre de Regarde ta jeunesse dans les yeux de Vincent Piolet ? J’crois qu’il va falloir t’y mettre…

Bref, je n’sais quoi commenter parce que je suis absorbée par ses paroles – même en les retranscrivant, oui oui. J’aime quand on remet en avant le contexte social qui a fait que le hip-hop a pris la place qu’il a aujourd’hui. Et après ? Bah après après… Cut a encore beaucoup à partager évidemment. See you pour la suite 😉

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